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SERGE CORDIER ET LE TEMPERAMENT EGAL A QUINTES JUSTES (TEQJ)

En 1972, Serge Cordier découvre un nouvel accord des pianos et des claviers.Contrairement à la théorie jusqu'alors en vigueur obligeant à « tempérer » les quintes, il réalise un tempérament égal à base de douze quintes justes. Serge Cordier est alors un musicien confirmé, et il vient d'acquérir une nouvelle compétence : celle de l'accordeur. Il possède également une excellente formation scientifique, ce qui lui permet d'analyser, au moyen de l'acoustique des échelles, les recommandations de son maître-accordeur. Observant que certaines correspondances entre battements s'écartent de la théorie admise, cette analyse leconduit alors à son étonnante découverte. A sa surprise, il constate d'emblée – cela se confirmera ensuite – que certains accordeurs  très réputés accordent en quintes justes, mais sans le savoir !

Tel Simon Debonne, longtemps premier accordeur d'une grande maison parisienne de pianos, et professeur de Serge Cordier : lorsque son élève lui fait entendre l'invention qu'il vient de mettre au point, le maître  trouve l'accord absolument remarquable, et conforme à ce que lui-même avait  « mis dix ans à découvrir » . Mais lorsque le vieil accordeur expérimenté (qui était non-voyant) s'entend dire que cet accord est réalisé avec des quintes justes, il déclare péremptoirement : « en quintes justes ? Impossible ! » . Il admettra cependant par la suite que sa pratique intuitive soit ainsi théorisée, deviendra un grand ami de son génial élève, et parlera un peu abusivement - de « notre » découverte... 

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RENCONTRE AVEC YEHUDI MENUHIN

Peu de temps après, la ville d'Alès, près de laquelle habitait le maître-accordeur à la retraite ainsi que son disciple, accueille pour un concert un
immense violoniste : Yehudi Menuhin, accompagné par sa soeur Hephzibah . Simon Debonne, accordant lui-même pour le concert, demande cependant
à Serge Cordier d'accorder le piano prévu pour la répétition, selon son nouveau tempérament. Menuhin remarque alors immédiatement la sonorité de
l'instrument ainsi accordé, déclarant n'avoir jamais « entendu sonner un piano si librement, avec un ton si riche ».

La valeur de cette découverte est ainsi immédiatement reconnue par un très grand musicien, qui manifestera toujours son soutien au travail de Serge Cordier, et l'invitera à présenter son nouvel accord en Angleterre et aux États-Unis.

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Cette reconnaissance initiale du nouveau tempérament, dont la solidité théorique est validée d'emblée par le grand acousticien Émile Leipp, marque le début d'une longue série de démonstrations, où Serge Cordier présente son accord à de nombreux musiciens, interprètes, compositeurs et musicologues parmi les plus éminents. La richesse soudaine de la sonorité du piano est reconnue alors quasi-unanimement, suscitant les commentaires les plus élogieux, voire enthousiastes.

Des articles - dans « Le Monde » notamment -  présentent la découverte, et son inventeur commence un cycle de conférences, où il sera invité par Dominique Merlet au Conservatoire de Paris, à Vienne par Paul Badura-Skoda, à la Sorbonne par Serge Gut... Dans ces conférences, qui débutent par un exemple musical, Serge Cordier explique la structure acoustique du nouvel accord, dans une perspective historique du tempérament et de ses diverses solutions jusqu'alors. Avec un rappel de notions simples d'acoustique - définition des harmoniques, des commas, etc... - le public musicien (bien souvent effrayé par cette science) accède en tout cas à une bonne compréhension du phénomène de la justesse, grâce aux explications claires et cohérentes d'un théoricien qui est aussi un praticien, au service de la pratique musicale réelle.

PIANO BIEN TEMPÉRÉ ET JUSTESSE ORCHESTRALE

  Le nouveau tempérament, à l'inverse de nombreuses théories obscures et contradictoires, présente une structure très simple. Le cercle des quintes, image du cycle des quintes hérité de Pythagore, est une représentation graphique des tempéraments : le problème est  d'inscrire, comme sur l'étendue d'un clavier de piano, 12 quintes (engendrant les 12 notes chromatiques) dans 7 octaves, sachant qu'il est impossible de conserver ensemble toutes les quintes et toutes les octaves justes.

Le Tempérament Égal à Quintes Justes présente simplement un cercle ouvert légèrement, rendant compte de l'agrandissement nécessaire (1/7 de comma par octave) pour que 12 quintes justes correspondent à 7 octaves « tempérées ». Cet agrandissement est une différence essentielle avec le tempérament égal habituel, lequel procède par raccourcissement des 12 quintes : or de nombreuses expériences ont montré que l'oreille des musiciens, lors d'une altération limitée de la justesse naturelle des intervalles, s'accommode bien mieux d'un agrandissement que d'un raccourcissement. L'accord Cordier rejoint là, avec la notion importante de justesse culturelle, une constante dans la pratique intuitive des instrumentistes libres de leur hauteur : agrandir légèrement, surtout dans l'aigu, certains intervalles, et en particulier les octaves. Voilà donc une qualité fondamentale du nouvel accord, qui réconcilie enfin l'accord fixe des claviers avec la justesse « libre », celle de la plupart des instruments de l'orchestre.

  Bien plus qu'une énième variante du tempérament, l'invention de Serge Cordier révèle son importance : comme celle d'un continent déjà existant, c'est la découverte d'une justesse inconnue jusqu'alors en théorie, et pourtant déjà explorée intuitivement par les meilleurs accordeurs, mais aussi déjà pratiquée par les instruments de l'orchestre. On sait que les instruments libres de leur hauteur  utilisent la « justesse expressive », modifiant la hauteur des notes en particulier selon leur contexte mélodique, ce qui est par essence interdit aux claviers à notes fixes. Pourtant plusieurs musicologues de grand renom affirment et démontrent que la justesse de l'orchestre s'inscrit dans une « gamme de référence », et que cette « épine dorsale » ne peut être que la gamme du tempérament égal. Cela  tient à l'évolution même, depuis J.S.Bach, du langage musical occidental , qui explore de plus en plus profondément – jusqu'à en « dissoudre » la tonalité - les modulations entre les 24 tonalités majeures et mineures : impossible de « jouer un dièze plus haut qu'un bémol » lors d'une modulation éloignée. Cependant ces musicologues  identifient alors cette gamme égale de référence comme la seule échelle égale paraissant être utilisée, celle du tempérament à quintes tempérées. Mais demeurait une contradiction : comment concilier en effet l'accord de base (par quintes) des cordes avec cette gamme de référence à quintes raccourcies, sachant que les instrumentistes ne consentent pas du tout – leur oreille le tolérant très mal - à raccourcir leurs quintes ?

Ces quintes étant de fait accordées justes, le tempérament égal (où par définition les intervalles sont égaux) de référence ne peut être que celui découvert par Serge Cordier : le Tempérament Égal à Quintes Justes. La démonstration peut sembler abstraite et théorique, mais le fait sonore a été confirmé par plusieurs chefs d'orchestre, déclarant retrouver exactement sur un piano en quintes justes les sonorités, les « couleurs » d'accords qu'ils demandent à l'orchestre.

  « Piano bien tempéré et justesse orchestrale », le titre du livre de Serge Cordier paru en 1982, exprime cet aspect primordial de la découverte. L'auteur détaille dans son ouvrage la théorie et la pratique du nouveau tempérament, et donne une analyse complète, en perspective historique, du phénomène de la justesse.

 

INHARMONICITÉ

Mais ce chercheur hors-pair n'allait pas en rester là : en effet il peut disposer dans les années 1980 de moyens électroniques et informatiques d'analyse fréquentielle du son, dont la précision lui permet d'entreprendre l'étude d'un phénomène très complexe, et néanmoins crucial pour l'application exacte du tempérament : l'inharmonicité. Les harmoniques émis par les cordes du piano sont décalés par rapport à leurs fréquences théoriques - n'étant pas  multiples exacts de la fréquence fondamentale - et ces décalages, variables selon la hauteur des notes et selon les pianos, produisent des différences avec la théorie . L'accordeur doit absolument prendre en compte ces différences, en fonction du type de piano, et Serge Cordier le savait déjà bien sûr comme tout bon accordeur, en particulier pour l'enseignement à ses élèves.

Maîtrisant désormais les nouveaux moyens techniques, il étudie pendant des années (la complexité est  redoutable...) les conséquences de l'inharmonicité pour une réalisation exacte du nouveau tempérament, avec des contrôles systématiques entre les relevés de fréquences et son oreille  d'accordeur. Il découvrira des horizons analytiques vraiment extraordinaires, mais hélas sa disparition prématurée en 2005 ne lui laisse pas le temps d'aboutir aux conclusions qu'il prévoyait, nous privant des nouvelles communications qui auraient parachevé son oeuvre théorique.

              Absorbé par ses derniers travaux, et soucieux d'achever une théorie étayant de manière inattaquable sa découverte, Serge Cordier n'avait pas poursuivi le travail de diffusion commencé avec son premier cycle de démonstrations et conférences ; il savait pourtant déjà que ce travail serait long et difficile, tant il est vrai qu'une nouveauté de cette envergure demande du temps pour être admise. Bien sûr il eut le souci de former des élèves, enseignant ainsi l'accord et l'acoustique au Conservatoire de Montpellier de 1986 à 1993 ; mais il reste bien peu de ses élèves directs pratiquant ce métier exigeant.  Pourtant c'est évidemment la voie de transmission la plus nécessaire : former des accordeurs à la nouvelle méthode. 

Il est vraiment surprenant, surtout en France où Serge Cordier est pourtant bien connu dans le métier, qu'aussi peu d'accordeurs à ce jour pratiquent cet accord si apprécié des musiciens. Mais certains, craignant sans doute une remise en cause de leur spécialité dans ses habitudes, ont critiqué les quintes justes - le dogme contredit – bien qu'ils n'aient en général jamais entendu l'exacte réalisation d'une telle partition (l'accord initial qui établit le partage en 12 demi-tons), tout en prétendant parfois la connaître. Or l'exactitude de l'accord en quintes justes, tel que son inventeur l'a mis  au point, tel qu'il l'a enseigné à ses élèves, dépend de l'inharmonicité, et ne peut donc être transmise qu'en « direct », et en tenant compte des particularités « inharmoniques » de chaque type de piano ; c'est là une difficulté de la formation où l'on retrouve les qualités de la tradition orale et acoustique. Serge Cordier n'a jamais voulu garder jalousement sa découverte, bien au contraire. Mais il a toujours voulu que les accords se réclamant de son invention (qu'il a fait protéger) puissent être contrôlés dans leur véracité, pour évidemment prévenir les critiques sur des réalisations inexactes. Il est indispensable de continuer à veiller sur une telle authenticité.

         Les inventions remarquables finissent néanmoins toujours par s'imposer, et tel sera certainement le cas pour le tempérament Cordier. Gageons que l'avis des musiciens obtiendra une pratique bien plus répandue de cet accord, le rôle des successeurs du génial chercheur étant simplement de continuer la diffusion, les démonstrations et explications, en mettant en valeur les avis reçus qui sont toujours aussi favorables. La publication des travaux sur Internet intéressera à n'en pas douter les spécialistes de la question, et nous en attendons l'impulsion pour que de plus en plus de musiciens entendent cette justesse et l'apprécient : voilà la clef pour que cette découverte accède à une notoriété digne de sa valeur. Le nom de Serge Cordier se confirmera alors en place importante dans l'histoire de la justesse en musique.

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